Dix ans après le début de son combat judiciaire, un paysan péruvien a fait face lundi devant la justice allemande au géant de l’énergie RWE, à qui il demande de réparer les effets du changement climatique dans les Andes.Pour cette affaire emblématique, très suivie par les défenseurs de l’environnement, Saul Luciano Lliuya a fait le déplacement au tribunal de Hamm, dans le nord-ouest de l’Allemagne, loin de sa ferme de Huaraz, dans l’ouest du Pérou.Selon l’ONG Germanwatch, qui soutient l’agriculteur, sa maison est menacée par la fonte des glaciers des Andes, qui ont déjà fait “remonter dangereusement à plusieurs reprises” le niveau du lac Palcacocha situé au-dessus de sa ville.”Les glaciers sont en train de fondre, de disparaître petit à petit”, a dit l’agriculteur de 44 ans, père de deux enfants, lundi avant l’audience.”Certains lacs comme celui de Palcacocha sont devenus un risque pour moi et pour plus de 50.000 personnes qui vivent dans cette zone”, a-t-il déclaré devant un décor en carton représentant des glaciers.M. Lliuya et Germanwatch demandent à RWE, l’un des principaux groupes énergétiques d’Allemagne, de participer symboliquement aux travaux pour réduire le niveau d’eau du lac.- Quote-part des émissions -Motif: bien qu’il n’ait aucune centrale au Pérou, le conglomérat fait partie des trois plus grands émetteurs de gaz à effet de serre en Europe, et est responsable de 0,47% des émissions mondiales, selon un rapport.Les plaignants exigent donc de RWE une quote-part correspondante de 17.000 euros aux 3,5 millions d’euros de travaux.La première journée d’audience a été consacrée à l’analyse des risques climatiques dans la région de Huaraz, et notamment celui d’un débordement du lac glaciaire, a expliqué un avocat du camp des plaignants.Les réponses des deux experts mandatés par le tribunal à des questions essentiellement géologiques sont cruciales pour la suite de l’affaire.Le tribunal doit en effet d’abord évaluer le risque de crue pour la maison de M. Lliuya. Si celui-ci est considéré comme sérieux, il examinera ensuite dans quelle mesure le changement climatique et les émissions de RWE contribuent à une potentielle inondation.Selon Noah Walker-Crawford, chercheur de la Londons School of Economics engagé auprès des plaignants, les experts “reconnaissent qu’il existe un risque” que la maison du paysan subisse une inondation en raison de “la fonte des glaciers”.Une deuxième et dernière journée d’audience est prévue mercredi. Une décision est possible dès ce jour mais “il est plus probable” que les juges se prononcent “d’ici trois ou quatre semaines”, a estimé Noah Walker-Crawford.Fin 2017, l’agriculteur avait obtenu un premier succès lorsque sa requête avait été jugée recevable en appel, après avoir été retoquée en première instance.Cette décision avait suscité l’espoir des militants de l’environnement d’en faire un cas précurseur de “justice climatique mondiale”, concept politique selon lequel le Nord pollueur doit dédommager les pays du Sud victimes de la pollution.Depuis, la procédure a avancé lentement, ralentie notamment par la pandémie de Covid-19.”Je n’aurais jamais pensé que cela prendrait autant de temps”, a dit avant le procès Saul Luciano Lliuya, qui a déposé plainte il y a près de dix ans.- “Juridiquement inadmissible” -De son côté, l’énergéticien allemand juge la requête “juridiquement inadmissible”.Pour le groupe qui exploite en Allemagne plusieurs mines de lignite, un minerai très polluant, il n’est “pas possible d’attribuer juridiquement les effets spécifiques d’un changement climatique à un seul émetteur”.Le groupe soutient notamment qu’il a toujours respecté les réglementations nationales sur les émissions de gaz à effet de serre et s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. RWE s’est notamment engagé à cesser la production d’électricité au charbon d’ici à 2030 dans le bassin rhénan, tout en investissant massivement dans l’éolien et le solaire.Avec cette procédure, Germanwatch dit vouloir faire “pression” pour forcer les responsables politiques “à agir et à dire que, oui, les grands émetteurs sur cette planète doivent finalement contribuer sur le principe de pollueur-payeur”, a déclaré lundi Christoph Bals, directeur politique de l’ONG.Les litiges contre gouvernements et sociétés polluantes se multiplient ces dernières années.
Mon, 17 Mar 2025 18:06:53 GMT
